martes, 18 de marzo de 2008

Du monologue intérieur au récit à la troisième personne.


Voici quelques exercices de style: à partir d'un fragment appartenant au roman d'Édouard Dujardin "les lauriers sont coupés", on rédige plusieurs textes en changeant de point de vue.

A) Monologue intérieur

Édouard Dujardin (1861-1949)
Les lauriers sont coupés (1888)

[Wagnérien, membre du cénacle de Stéphane Mallarmé, Édouard Dujardin avait vingt-cinq ans lorsqu'il entreprit d'écrire ce petit roman en 1886 : « C'est, tout simplement, le récit de six heures de la vie d'un jeune homme qui est amoureux d'une demoiselle - six heures, pendant lesquelles rien, aucune aventure n'arrive.» Daniel Prince, étudiant à Paris, rencontre un ami, dîne seul au restaurant, rentre se préparer chez lui, puis rejoint l'actrice débutante qui, comme l'Odette de Swann, chez Proust, occupe ses pensées alors qu'elle n'est « même pas son genre.»]

Illuminé, rouge, doré, le café ; les glaces étincelantes ; un garçon au tablier blanc ; les colonnes chargées de chapeaux et de pardessus. Y a-t-il ici quelqu'un de connaissance ? Ces gens me regardent entrer ; un monsieur maigre aux favoris longs, quelle gravité ! les tables sont pleines ; où m'installerai-je ? là-bas un vide ; justement ma place habituelle ; on peut avoir une place habituelle ; Léa n'aurait pas de quoi se moquer.

- Si monsieur...

Le garçon. La table. Mon chapeau au porte-manteau. Retirons nos gants ; il faut les jeter négligemment sur la table, à côté de l'assiette ; plutôt dans la poche du pardessus ; non, sur la table ; ces petites choses sont de la tenue générale. Mon pardessus au porte-manteau ; je m'assieds ; ouf ! j'étais las. Je mettrai dans la poche de mon pardessus mes gants. Illuminé, doré, rouge, avec les glaces cet étincellement ; quoi ? le café ; le café où je suis. Ah ! j'étais las. Le garçon :

- Potage bisque, Saint-Germain, consommé...

- Consommé.

- Ensuite, monsieur prendra...

- Montrez-moi la carte..

- Vin blanc, vin rouge...

- Rouge...

La carte. Poissons, sole... Bien, une sole. Entrées, côte de pré-salé... non. Poulet... soit.

- Une sole ; du poulet ; avec du cresson.

- Sole ; poulet-cresson.

Ainsi, je vais dîner ; rien là de déplaisant. Voilà une assez jolie femme ; ni brune ni blonde ; ma foi, air choisi ; elle doit être grande : c'est la femme de cet homme chauve qui me tourne le dos ; sa maîtresse plutôt ; elle n'a pas trop les façons d'une femme légitime ; assez jolie, certes. Si elle pouvait regarder par ici ; elle est presque en face de moi ; comment faire ? A quoi bon ? Elle m'a vu. Elle est jolie ; et ce monsieur paraît stupide ; malheureusement je ne vois de lui que le dos ; je voudrais bien connaître aussi sa figure ; c'est un avoué, un notaire de province ; suis-je bête ! Et le consommé ? La glace devant moi reflète le cadre doré ; le cadre doré qui est donc derrière moi ; ces enluminures sont vermillonnées, les feux de teintes écarlates ; c'est le gaz tout jaune clair qui allume les murs ; jaunes aussi du gaz, les nappes blanches, les glaces, les verreries. On est commodément ; confortablement. Voici le consommé, le consommé fumant ; attention à ce que le garçon ne m'en éclabousse rien. Non ; mangeons. Ce bouillon est trop chaud ; essayons encore. Pas mauvais. J'ai déjeuné un peu tard, et je n'ai guère faim ; il faut pourtant dîner. Fini, le potage. De nouveau cette femme a regardé par ici ; elle a des yeux expressifs et le monsieur parait terne ; ce serait extraordinaire que je fisse connaissance avec elle ; pourquoi pas ? II y a des circonstances si bizarres ; d'abord en la considérant longtemps, je puis commencer quelque chose ; ils sont au rôti ; bah ! j'aurai, si je veux, achevé en même temps qu'eux ; où est le garçon, qu'il se hâte ; jamais on n'achève dans ces restaurants ; si je pouvais m'arranger à dîner chez moi ; peut-être que mon concierge me ferait faire quelque cuisine à peu de frais chaque jour. Ce serait mauvais. Je suis ridicule ; ce serait ennuyeux ; les jours où je ne puis rentrer, qu'adviendrait-il ? au moins dans un restaurant on ne s'ennuie pas.



B) Récit indirect libre: Version A.

Le café était bien illuminé. Les rouges et les dorés étincelaient sur les glaces. Un garçon au tablier blanc restait absolument immobile devant les colonnes chargées de pardessus et de chapeaux. Daniel a parcouru de ses yeux tout le café mais il n'a reconnu personne. Quelques têtes se sont levées un instant pour le regarder, puis les gens ont continué avec leurs conversations et leurs dîners. Un homme maigre, aux favoris longs, lui a fixé des yeux avec un air grave. Daniel a échappé à son regard, incommodé. Il s'est mis à chercher de la place, le café était tellement plein. Mais là-bas, au fond, sa table habituelle était vide. Daniel a marché vers la table en se demandant s'il est possible d'avoir une place réservée pour quelqu'un dans la vie.

Le garçon s'est approché de lui sans qu'il s'en soit aperçu.

-Si monsieur...

Daniel a enlevé son chapeau et, d'un beau mouvement, il l'a accroché au porte-manteau. Après, il a retiré ses gants mais son rôle n'est pas allé plus loin. Un terrible doute a paralysé ses mains. Elles ne savaient pas si laisser les gants négligemment à côté de l'assiette ou les mettre dans la poche de son pardessus. La rougeur de son visage augmentait au fur et à mesure qu'il en était conscient. Daniel les a laissés tomber maladroitement sur la table. Puis il a enlevé son pardessus et l'a mis au porte-manteau. Avec un soupir de soulagement il s'est assis. Il se sentait vraiment fatigué, mais à nouveau il a été conscient de ses gants sur la table et a pensé à se lever et, finalement, les mettre dans la poche de son pardessus. Soudain, comme s'il revenait d'un autre monde, il a vivement remarqué le rouge et le doré étincelant sur les glaces, le garçon à son côté, grave et courtois. D'un brusque mouvement, il les a emboutis dans son pardessus.

-Potage bisque, Saint-Germain, consommé...

-Consommé.

-Ensuite, monsieur prendra...

-Montrez-moi la carte…

-Vin blanc, vin rouge...

-Rouge...

Daniel a regardé la carte. Il l’a lue rapidement (Il l’a parcourue rapidement), poissons, sole... Sa *décision fût rapide : sole. Puis un autre doute : du poulet ou côte de pré-salé.

-Sole ; poulet-cresson -dit-il à la fin.

Le garçon *s'en est allé et Daniel s'est décontracté. Il a regardé autour de lui et soudain il a vu une femme assise à la table à côté de la sienne, face à lui, tandis que l'homme qui *l'accompagnait lui tournait le dos. Il l'a regardée longuement. Elle n'était ni blonde ni brune. Elle paraissait grande, et Daniel a décidé qu'elle devait être la maîtresse de l'homme chauve. Elle semblait trop jolie pour être sa femme. Daniel voulait qu'elle le regarde à son tour, mais il ne savait pas comment faire. Et en plus il se demandait *ce qu'il pouvait *en gagner. À la fois, il voulait voir le visage de l'homme. Il lui paraissait un avoué, un notaire de province. Mais tout à coup il s'est obligé à changer de pensée. Il se sentait vraiment idiot avec ce jeu d'adolescent. Alors il s'est mis à observer le spectacle lumineux que le café lui offrait. Devant lui, une glace montrait l'image d'un cadre doré. Les lampes teignaient d'écarlate et de jaune tout autour de lui, les nappes, les verres, même les murs.

Le garçon est arrivé avec le consommé. Daniel a eu peur qu'il ne le fasse tomber sur lui, puis le garçon s'en est allé et il a commencé à jouir de son dîner. Mais le bouillon étant trop chaud, il a dû attendre un peu. Quand il a pu le goûter il l'a trouvé bon même s’il n'avait vraiment pas faim car il avait déjeuné très tard le matin. Il s'est obligé à finir le potage. À ce moment-là, la femme l'a regardé. Il a apprécié ses yeux expressifs, et encore une fois Daniel a été attiré par cette femme. Son désir s’est envolé vers elle et il a constaté qu'ils étaient en train de finir leur dîner. Il s'est fâché, il aurait voulu que le garçon ait été beaucoup plus rapide. Mais il ne venait que de finir son entrée. Il ressentait le besoin de faire connaissance avec la femme. Il a cherché le garçon mais il ne l'a pas vu. Son irritation a augmenté et il s'est mis à considérer s'il devait dîner chez lui. Peut-être que la concierge pouvait lui *préparer le dîner chaque jour, mais soudain il s'est rendu compte qu’il s'y ennuierait car au moins au restaurant il y a toujours quelque chose pour se distraire.

C.V.G.


B) Récit indirect libre: Version B.


Lorsqu’il entra, le café il lui apparut trop illuminé, rouge et doré. De plus, les reflets dans les glaces étincelaient à l’excès de lueurs bariolées. Il fut accueilli par un garçon au tablier blanc : « Monsieur a une table réservée ?-Lui demanda-t-il. » Non, il n’avait pas fait sa réserve et la salle était bondée a tel point que toutes les colonnes étaient chargées de chapeaux et de pardessus. Il eut l’impression que tous les regards s’étaient posés sur lui : des regards sévères, distraits, curieux, moqueurs ou graves comme celui de ce monsieur aux longs favoris qui avait l’air d’un juge. Il ressentit le besoin pressant de s’asseoir et de cesser d’être le centre. Il remarqua que sa place habituelle était heureusement vide. « Car on peut avoir une place habituelle, n’en déplaise à Léa qui n’aurait plus de quoi se moquer –songea-t-il. »

« Si monsieur veut bien me suivre… » le garçon le conduisit justement jusque sa table. Il accrocha son chapeau au porte-manteau, puis retira ses gants : là, debout, devant tout le monde, il se sentit possédé par le rôle qu’il avait à représenter en société. Il étudia minutieusement ses mouvements. Son instinct mondain lui disait qu’il fallait montrer une discrète nonchalance et sentit l’envie de jeter ses gants négligemment sur la table, à côté de l’assiette, comme il avait vu faire au Comte de Villeparsis, cet « arbiter elegantiorum » du grand monde parisien. Mais il pensa qu’ils encombreraient et qu’ils pourraient d’ailleurs se salir de sauce ou de vin. Il fit geste de les mettre dans la poche de son pardessus. Cependant, cela lui sembla une idée de domestique indigne de lui –« monsieur doit faire attention, monsieur peut salir ses gants. »- et il décida de les poser sur la table. En s’asseyant, les gants encore à la main, il se sentit vraiment las et ne trouvant pas assez de place sur la petite table il mit, sans trop se rendre compte, les gants dans la poche de son pardessus. Soudain, la fatigue aidant, il fut pris de vertige : les lumières miroitantes des lustres, le rouge velouté des murs, l’or clinquant des ornements de toutes sortes et les gens, femmes et hommes, le tout multiplié à l’infini dans le labyrinthe des glaces, l’engloutit l’éternité d’un instant. Il revint à lui en se servant de la profondeur d’une remarque banale « Je suis dans le café -se dit-il ». Et la réalité reprit sa consistance tridimensionnelle. Il remarqua une présence a côté de lui. C’était le garçon qui était venu à sa commande:

-Monsieur voudra bien prendre quelque chose ? –fit le garçon d’un ton poli et gentiment ironique.

-Que proposez-vous donc? –lui rétorqua-t-il fermement.

-Potage bisque, Saint-Germain, consommé…

-Consommé. –dit-il. Et ce seul mot prononcé sèchement suffit à couper la rengaine du garçon

-Ensuite, monsieur prendra… Alors qu’il disait ça, la carte sous le bras, il regardait ailleurs.

-Montrez-moi la carte…

-Vin rouge, vin blanc…

-Rouge…

Il jeta un coup d’œil rapide aux mets proposés sur la carte. Puis sans se poser trop de questions il fit son choix :

-Une sole ; du poulet avec du cresson.

-Sole, poulet, cresson… répéta machinalement le garçon alors qu’il gribouillait les noms des mets sur son calepin.

Il reprit ses aises à l’idée de dîner. Il trouvait ça plutôt agréable. Il remarqua tout de suite en face de lui une femme qui lui semblait assez jolie. Il ne pouvait pas trop juger car il ne voyait pas très bien son visage. Elle n’était ni brune ni blonde, l’air distingué et sûrement grande. Il imagina les liens avec l’homme chauve avec qui elle mangeait. Plus que sa femme c’était sa maîtresse, car il trouvait que ses façons n’étaient pas celles d’une femme mariée. Lorsqu’elle le regarda il pu réaliser que c’était vraiment une jolie femme. Son bonhomme de partenaire lui paraissait plutôt stupide. Il décréta qu’il était avoué ou notaire de province. Se rendant compte de la bêtise de ses propos –l’envie ou la jalousie faisait que chaque fois qu’il voyait une belle femme accompagnée de son homme il pensait que celui-ci ne la méritait point- il se mit à attendre son repas. De façon distraite il se mit à contempler le spectacle dans la glace en face de lui, à analyser les différents éléments du tableau : les enluminures vermillonnées, les feux de teintes écarlates, la lumière jaune clair du gaz sur les murs, les nappes blanches, les glaces et les verreries. Il se sentait vraiment à l’aise et il éprouvait une vive sensation de bien-être lorsqu’il prenait conscience de ce bonheur simple émanant de la pure perception sensorielle. Le consommé fumant arriva. Il s’écarta prudemment de peur que le garçon ne l’éclabousse. Il goûta, le trouva bon quoique chaud. De toute façon il n’avait pas trop faim car il avait déjeuné un peu tard. « Il faut dîner –se dit-il. » « Et puis la faim vient en mangeant –dit-on. » Le bouillon terminé, il remarqua que la femme avait encore regardé dans sa direction ce qui lui permit tout de suite d’imaginer, voire de réaliser, la possibilité d’une relation avec elle. Ses yeux lui parurent d’autant plus expressifs que le soi-disant mari était terne. Il observa qu’ils en étaient déjà au rôti et il sentit le besoin de se hâter lui-même dans son repas. Comme il dépendait du garçon il songea à demander au concierge –moyennant peu de frais- de prendre les repas chez lui. Mais il écarta tout de suite cette idée puisqu’au moins, lui, essentiellement mondain, dans le restaurant il ne s’ennuyait pas.

L.S.

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